Lumineux-Champollion
  Lumineux-Champollion

Paris se faisait entendre, Paris se faisait attendre. Chacun vaquait à sa dernière occupation. Jacques-Joseph écrivait, Saghir lui, lisait, ou faisait mine de lire une grammaire     arabe face à Dame Annette qui se repoudrait       interminablement le nez. Quant à M. Dervaux, il     griffonnait sur des feuilles qu’il avait empruntées à       Jacques-Joseph quelques mots. Saghir se mordait les lèvres, puis au bout d’un moment, il osa :

- Heu… pardon Monsieur… Il n’eut point le temps de     commencer sa phrase, M. Dervaux l’interrompit et lui     tendit deux lettres pliées sur lesquelles il avait inscrit ceci :

 

Le 13 septembre 1807.

 

 

 

À GEHA CHEFICHI, église Saint-Roch à Paris.

 

 

 

Cher frère et ami,

 

 

Je te recommande prestement ce charmant jeune homme arrivant de GRENOBLE.

Il se nomme Jean-François CHAMPOLLION, est très intéressant, et serait lui-même très intéressé par ta personne puisqu’il vient spécialement à PARIS pour étudier les langues d’Orient dont la tienne, la Copte, qu’il débrouille déjà un peu !

 

Puisses-tu lui faire bon accueil, c’est un “eccitato*“ et comme tu t’en apercevras vite, ton fleuve NIL coule un peu dans ses veines !

 

 

La moitié de mes pensées est toujours pour toi.

 

 

Annette et moi t’embrassons et t’adressons nos bons souvenirs.

 

 

 

Eugène-François Dervaux, ancien de la 18ème demi-brigade.

 

 

 

* eccitato : mot italien, traduction : excité. “Surnom “ dont je fus moi-même         affublé par le directeur de l’un des plus beaux  musées égyptiens, lors de mes           nombreuses recherches concernant le déchiffreur.

 

 

 

 

 

13 septembre 1807.

 

 

 

 

Dame Augustine MÉCRAN, 8 rue de l’Échelle-Saint-Honoré à Paris.

 

 

 

Augustine,

 

 

Je t’adresse ce jour le jeune Jean-François CHAMPOLLION venant de Grenoble à Paris pour y étudier des langues orientales.

 

Peux-tu lui procurer une chambre en pension s’il n’en trouve point,  à prix raisonnable, car il est démuni de tout sauf d’intelligence ! Tu ne le regretteras point, et  t’enorgueilliras j’espère un de ces jours prochains, d’avoir eu à loger sous ton toit ce jeune garçon dont on reparlera assurément ! 

 

 

 

En souvenir de toi, de ton grognard de mari, et de nos campagnes consulaires.

 

 

 

Salut, citoyenne.

 

 

 

 

Ton ami Eugène-François DERVAUX.

 

 

 

 

 

Paris, peu avant midi, rue de Coq-Héron.

 

- Soixante-dix heures de route me séparent de mes chères   montagnes… Saghir soudainement accablé, prend peur, il veut fuir, s’enfuir, déguerpir. Il repense à la phrase     d’Émiland : “ Paris, ville de boue, de pluie, et de bruits“. Et surtout sans amis ! Ajouta-t-il.

 

- Paris ! Paris ! Arrivée Paris ! Tout le monde descend !

 

Le postillon calme ses chevaux, Monsieur Dervaux ouvre le portillon.

Agile de son bras unique, il sort le premier. Jean-François lui emboite le pas puis tend sa main à Madame Annette   qui, soulevant légèrement un pan de sa robe, s’extrait     élégamment de la voiture, Jacques-Joseph fermant la     marche.

- Merci Saghir. Me permettez-vous de vous appeler ainsi ? Dites-moi, d’où vous vient ce surnom ?

- Annette, permettez que je vous appelle Annette? Saghir, est un nom arabe signifiant “le jeune“. C’est ma chère belle-sœur Zoé qui me surnomme ainsi à cause de mon teint mat et de mon goût pour les langues sémitiques.

- Pas mal trouvé, cela vous sied bien. Dites-moi, ce regard étrange que vous avez…

- Bien, Messieurs, c’est ici que nos routes se séparent       (Monsieur Dervaux impatient, interrompit la discussion). Puis, rejoints par deux militaires, ils prirent congé des     deux frères.

- N’oubliez point de vous r’commander d’ma part à ces     deux adresses ! Monsieur Jean-François, je garde un œil   sur toi, celui qui me reste, le bon!

 

Avant de disparaître avalée dans la voiture militaire,     Annette se retourna, puis adressa à Saghir un dernier     regard, lourd de regret, enrobé d’une triste tendresse.

Jacques-Joseph, témoin et surpris, complimenta son frère :

- Dis-donc joli-cœur**, quand tu seras “revenu“, tu         prendras le reste des bagages ! Ha, je comprends mieux à présent le double sens de la phrase du père Dervaux !

-Hein ? Quoi ? Des veaux ? Où ça ? Ah oui, les bagages…

Figeac, après avoir pris connaissance de l’adresse         recommandée par ce valeureux soldat, s’adressa à un       vieux palefrenier du relais qui soignait un coursier :

- Pardon mon brave, par où se situe la rue de l’Échelle ?

- Comment ?

- Rue de l’Échelle s’il vous plait.

- Comment ?

- Rue de l’É-chel-le !

Les deux frères se mirent à rire aux éclats lorsqu’ils virent ce vieux brave sortir de sa poche arrière un grand cornet qu’il vissa dans son oreille.

- Nous cherchons la rue de l’Échelle !

Soudain une voix haut perchée interpela les deux frères :

- Bonjour Messieurs, vous cherchez la rue de l’Échelle, est-ce bien cela ?

Le palefrenier pivota alors pour suivre le regard des deux frères et cogna malencontreusement son cornet contre le museau du cheval qui hennit, certainement vexé du geste maladroit de son soignant.

- Bonjour Madame, oui, nous souhaiterions nous rendre à cette adresse : 8, rue de l’Échelle.

- La pension de la mère Mécran ça…

- Oui Madame, c’est bien cela.

- Je descends…

Quelques secondes plus tard, la voici qui indiquait leur     route à ces provinciaux :

- Au bout là c’est la rue Saint-Honoré, prenez à gauche jusqu’à la place du Palais-Royal, traversez, passez les rues Valois, Rohan, Saint-Nicaise, Saint-Louis et vous tombez   rue de l’Échelle. Au numéro 8, vous demanderez Madame Mécran.

Avant de s’élancer, Figeac offrit deux sous au vieil         employé.

Les frères Champollion remercièrent la charmante dame, puis, celle-ci se proposa de les y accompagner.

- Permettez que je vous y conduise?

Les deux frères se regardèrent puis opinèrent ensemble de la tête.

- Nous sommes un peu en affaires la mère Mécran et moi-même. Nous nous adressons mutuellement des clients. Mais je vous préviens, elle n’est point facile !

 

À peine firent-ils quelques pas qu’ils entendirent une petite de jeune fille appeler maman avec insistance.

- Maman ! Maman !

Carole se retourna, elle ne connaissait que trop bien ce     timbre et cette intonation là, et pour cause, c’était Emma sa petite fille qui courait après elle affolée.

- Oui la puce, que se passe t-il ? Oh toi, t’as fait encore       bêtise…

- Maman, maman, z’ai refermé le cellier et z’ai oubié la clé dedans ; z’ai pas fait exprès maman…

- Eh bien, ton paternel va encore être content ! Allez, ce n’est point grave la puce, pleure plus. Viens donc avec moi accompagner ces Messieurs chez tante Mécran.

Jean-François, attendri par cette mignonne poupée, lui     proposa de la faire voyager sur son dos, ce qui la ravit et eut don de sécher immédiatement ses larmes. 

- Hop-là ! Grimpe la puce ! Toi c’est la puce Emma, et moi c’est Jean-François le dada!

- Allez hue Zean-François, hue !

Se frayant un passage entre fiacres et piétons, le petit     comité atteignit rapidement sa destination.

Carole héla l’hôtelière :

- Mère Mécrann! Ouh ouh ! Mère Mécrannn !

La petite Emma se joignit à sa maman :

- Tata Mécran ! Tata Mécraaannnn !

- Oui, qu’est-ce que c’est encore? Ah c’est toi la puce qui     fait tout c’raffut ? Bonjour Carole.

- Mère Mécran, ces Messieurs souhaitent prendre pension.

- Ben alors, montez.

Jacques-Joseph expliqua brièvement à Carole ce qu’il     souhaitait, à savoir : une chambre en demi-pension, le     temps des études de son frère à Paris et pour lui, une     chambre simple pour un mois tout au plus.

Arrivés au deuxième étage, les visiteurs entrèrent dans un petit appartement sombre qui sentait le linge propret.

- Messieurs, alors, c’est pour quoi?

Les frères Champollion d’une seule voix saluèrent la       matrone, puis Jacques-Joseph prit la parole :

- Et bien Madame, nous souhaiterions prendre si possible pension chez vous pour mon jeune frère Jean-François.

Figeac fut interrompu par un grondement de la mère     Mécran :

- Silence la boutique !

Elle venait de tancer trois jeunes filles que l’on apercevait dans une pièce conjointe qui piaillaient follement tout en   s’occupant du linge.

- Reprenez, pardon, vous parliez d’une pension…

Donc, je disais une demi-pension à l’année pour mon frère, le temps de ses études, pour moi, ce sera une chambre pour environ un mois.

La mère Mécran, s’adressant à Jean-François, le fixa de son regard gris orage :

- Sachez jeune homme qu’ici c’est un endroit respectable, si vous voyez ce que je veux dire. Le voisinage du Palais-Royal et de ses “demoiselles“ ne sera point une excuse. Il y a beaucoup de jeunes étudiants, comme vous, dans ces     murs… Si vous voyez c’que j’veux dire… Le père Mécran   veut le calme après ses guerres avec le Bonaparte… Capito ?

- Bien compris, répondirent les deux frères.

- Suivez-moi, la chambre numéro 4 sur le Louvre fera je   pense l’affaire. C’est dix-huit francs par mois en demi-   pension, linge changé une fois la s’maine, souper à six     heures le soir, payable d’avance et pas de retard, capito ?

- Capito, bene capito, répondirent les deux frères en     souriant.

Jacques-Joseph se souvint subitement de la         recommandation de M. Dervaux et la présenta à la       “matronne“.

- Voici une lettre de recommandation de la part de M.     Dervaux.

- Dervaux… Dervaux… François-Eugène Dervaux ?     Comment qui va l’vétéran ?

Jacques-Joseph répondit sans qu’elle n’écoute.

- Humm… Fit-elle en lisant la missive, ici, le Directoire, c’est moi! Mes affaires avant tout. On paie d’avance et point de retard, ca…

- pito ! Répondirent ensemble à nouveau les deux         frères.     

L’affaire conclue, Carole, Figeac et la mère Mécran         redescendirent vers sa loge, tandis que la petite Emma, en découvrant un nécessaire à croquis dans les affaires de “Saghir“, lui demanda qu’il lui fit un beau dessin.

- Oh, que c’est beau ! C’est quoi ?

- Ça, ma puce, c’est un Roi d’Égypte, un Pharaon.

- Un… Pharaphon ? Et t’en as dézà vu un ?

- Non pas un Pharaphon, mignone ! Un Pha-ra-on ! Et     non, je n’en ai point vu encore… Bientôt peut-être, un jour, enfin z’espère !

La petite Emma pris son joli dessin, s’accrocha au cou de   Jean-François pour l’embrasser, et détala rejoindre sa     maman au rez-de-chaussée.

- Maman ! Maman ! Regarde ! Zean-François m’a dessiné un Pharaphaon ***!

 

Carole, enfin, prit congé de ces Messieurs.

- Pour les repas, si vous voulez, votre frère pourra passer   me voir de temps en temps au relais. Emma semble l’avoir “adopté“ ! Sinon j’ai deux adresses : Les Faujat, une       gentille famille qui offre le couvert pour trois fois rien, et   au Palais-Royal, une cantine, les Trois Frères Provençaux.

Figeac, tout en écoutant Carole, regardait son frère       subitement redevenu enfant.

- Oui en effet ! Regardez-moi ces deux enfants! Emma     jouant à la cavalière grimpée sur le dos de Jean-François   qui lui se prend pour un cheval, ah ! Insouciante jeunesse! En tous cas, merci beaucoup chère Carole de votre         proposition et surtout pour votre gentillesse. Je passerai le message à mon “cheval“ de frère quand il aura fini de     galoper!

 

*  Son magnétisme inné avait don d’amadouer les animaux les plus “agités“.

 

** Il attirait à lui tous les enfants.

 

*** Sa “coquetterie“ (son strabisme) ne laissait point indifférente la gente féminine.

 

 

   “ Tous les hommes utiles doivent être en rapport les uns avec les autres, de même que l’entrepreneur se réfère à l’architecte et celui-ci au maçon et au charpentier“.

                                                                           Johann Wolfgang von Goethe.

 

                                                                                                   Suite page 3

MISSION CHAMPOLLION

 



Par Patrick Kararsi

  

   

Statue de Bartholdi – Collège de France .   « Je veux consacrer ma vie à l’antique Egypte. » JF Champollion. Statue de Bartholdi – Collège de France . « Je veux consacrer ma vie à l’antique Egypte. » JF Champollion .
JFC par Mauzaisse 1830 (Copie, don de Mr Hervé Champollion) JFC par Mauzaisse 1830 (Copie, don de Mr Hervé Champollion)
JFC par Rougé JFC par Rougé
JFC par Étex JFC par Étex
JFC à l'IFAO au Caire JFC à l'IFAO au Caire
JFC JFC
JFC par Mme de Rumilly 1823 JFC par Mme de Rumilly 1823
JFC par Angelelli 1836 JFC par Angelelli 1836
Hermine Hartleben 1ère biographe de JFC 1906 (Don de Mr Martin Hartleben) Hermine Hartleben 1ère biographe de JFC 1906 (Don de Mr Martin Hartleben)
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