-De l’étude des papyrus en écriture cursive égyptienne -
Le 15 août 1808.
« J’ai fait un assez grand pas dans cette étude : 1° j’ai prouvé par des rapprochements que tous ces papyrus appartiennent à un même système d’écriture – 2° que j’ai la valeur de toutes les lettres par l’inscription de Rosette qu’elles sont absolument les mêmes – 3° que j’ai déchiffré le commencement du papyrus gravé dans Denon, planche 138 (…) qui en copte veut dire mot pour mot : “ Dis : Repose en paix, ô Égyptien, remplis ta dernière destination, échappe aux ténèbres du tombeau et de la mort.“
Tu vois par là que cela s’annonce de façon assez satisfaisante et que si cela continue (je vais ?) donner un grand coup de pied à Quatremère et aux prétendus égyptophiles qui remplissent nos musées et notre Institut. »
In Champollion, une vie de lumières. Jean Lacouture
« Mon très cher frère, l’autre jour chez Millin, Monsieur de Wambrechies conta ceci :
Lors d’une chasse sur mes terres, je tombai follement amoureux d’une toute jeune Baronne montant comme les Amazones. Je la convia à mon domaine, lui apprit à tirer, mal, car le lendemain, elle tua trois chiens, blessa un laquais, et fit fuir à jamais le plus beau cerf aux bois énormes. Cette historiette s’échappa de la contrée, fit le tour du pays et me revînt ainsi :
La femme de Monsieur, portant grands bois sur la tête (façon de dire cocue), tira sur celui-ci qui s’échappa, tua trois laquais, et lança tous les chiens à ses trousses pour qu’il ne revint jamais.
Et l’on rit de ceci toute la soirée !
J’imagine le pauvre érudit, contant ici qu’il vient enfin de trouver enfin le remède pour éliminer la pire maladie de notre siècle. Et bien, on lui donnerait deux pièces, on le ficherait dehors en l’invitant à aller boire à sa réussite un peu plus loin ! Trop ennuyeux ! »
(Lettre imaginaire de l’auteur Patrick Kararsi)
« Quand je composerai le plus bel et le plus érudit d’entre les ouvrages, je ne trouverais pas un seul lecteur sur le pavé de Paris tant le goût des sciences est général ! Cela coupe vraiment bras et jambes. (…) C’est un rude métier que le métier d’auteur ! »
In Champollion, une vie de lumières. Jean Lacouture
Mai 1809, rue de l’Échelle…
- Bonjour Madame… Madame Créman ?
-Mécran ! C’est pour quoi ?
- Je viens rendre visite à Monsieur Champollion.
- Et vous êtes ?
- Édouard de Villiers du Terrage.
-Par ici, l’escalier, quatrième étage.
- Merci Madame.
- De rien… Attendez un peu, tenez, ce paquet est pour lui, de la part d’une certaine Louise Deschamp. Bien jolie ma foi, bien qu’en âge d’être sa mère. Enfin…
Toc toc toc…
- Édouard !
- François !
- Entre donc…
- Tiens, ta concierge m’a donné cela pour toi. Quel drôle de numéro celle-ci ! Enfin…
- Et encore, tu n’as pas tout vu ni tout entendu ! Enfin !
- Oh, Je ne veux rien connaître de plus ! Seigneur Jésus ! Je n’avais pas imaginé ton “antre“ autrement ! Partout des livres, des papiers, le Temple idéal du petit génie ! Regarde un peu ce que je t’apporte, mon zodiaque de Dendérah ! Alors, qu’en dis-tu ?
- Enfin un travail digne de ce nom ! Et comment va ton général “troisième plaie d’Égypte“ ?
- Jomard ? Il va bien. Tu me fais bien rire de l’avoir surnommé ainsi. Ne prends pas trop sérieusement le fait qu’il t’ait traité de “blanc-bec“. Tu sais, l’Égypte était un paradis infernal… Le soleil, la soif, la peste, la rébellion, et puis cet autre monde, des pyramides, des temples, des momies, cette étrange écriture… À vous rendre fou plus d’un homme qu’ils soient de sciences ou militaires ! Il a en charge cette lourde tâche de classer tous nos travaux et de le faire éditer. Et qui dit éditer, dit imprimer, et qui dit imprimer, dit ciseler les cylindres des milliers de dessins. Tout grouper pour mettre en place l’édition de la Description de l’Égypte requière pas moins de dix énergies ! Peut-être t’en veut-il parce que tes idées sont neuves !
Le propre de ton génie, est de “ déranger“, non ? Crois-moi, continue sur ta voie, si ça peste, cela prouve au moins que tu es sur le bon chemin, quand bien même n’avoir pas posé comme nous les pieds là-bas.
C’est drôle, vois-tu, je vais te dire une chose que je ne devrais peut-être point te dire, mais, de tous ceux, vétérans ou non de cette campagne, je parle des scientifiques, qui se sont lancés dans la course aux hiéroglyphes, tu me parais être le seul, l’unique capable d’ouvrir cette porte de pierre. Et crois-moi sur parole, je ne suis pas du tout garçon à la flagornerie facile, je suis un scientifique et ce que je comprends de toi, c’est cette vision un peu déroutante de la méthode que tu utilises. Tu jettes loin et profond tes filets, ramenant à ton port des vestiges des plus anciens, plus parlants qu’aucun autre sur cette langue – en est- elle une ? Cette civilisation n’est point nôtre, tout est si gigantesque, là, je te suis…
Saghir réfléchit un moment…
- J’en conviens aisément. J’ajouterais que ce n’est point parce que l’on découvre un coffre fort fermé que l’on saura immédiatement l’ouvrir et encore moins savoir ce qu’il recèle…
D’après ce que je lis des mémoires de tous bords, y compris de ceux qui viennent de ta Commission, en parlant de “traduction“, on est loin, très loin même du compte !
Beaucoup pensent que Rosette permettra tout, chacun y va de sa théorie… sache mon brave, que les hiéroglyphes ne tolèrent aucun à-priori ! Le hasard ne peut rien, les calculs savants encore moins. Prendrait-on cette écriture sacrée d’une civilisation plus grande que toutes les nôtres réunies pour des dessins d’enfants ?
Je ne prétends pas moi-même y arriver, cela serait pure folie, mais je l’espère !
Je marche seul sur un chemin qui s’enfonce loin dans le temps, en suivant ce que mon esprit me montre et en faisant ce qu’il me demande de faire. Et en ce moment, je ne vois rien… Cette civilisation ne pensait pas comme nous le faisons. Certains mots, certaines lettres, en écriture cursive, me parlent. Puis soudain, je me perds dans le noir… Et ça dur des jours et des jours. Des sons ? Des Idées ? Des mots ?
Édouard regardait Jean-François. Il avait déjà remarqué à maintes reprises que lorsque celui-ci parlait d’Égypte, il semblait l’y avoir rejoint…
De son côté, Jacques-Joseph, s’impatientait. Interpellant vivement son cadet dans un courrier, le tançant en lui intimant de raison garder et de se concentrer sur un objectif précis plutôt que d’errer dans toutes les grammaires du mondes…
« Tu t’es laissé décourager dans l’étude des papyrus… Tu as lu une ligne et demie… Et tu en restes là… Je ne te reconnais plus. Où est donc ton goût égyptien ? Je t’ai toujours dit qu’il te manquait la constance dans tes entreprises. (…) Faudra t-il que je fasse ta besogne ? Je me suis associé à ton travail et tu me laisses là… »
« Étudie donc une chose au lieu de divaguer sur tous les coins du monde et d’effleurer une matière(…) de croire mieux voir que tous les autres ensemble, de te créer des systèmes imaginaires qui n’ont d’autres bases que des subtilités étymologiques, des rapprochements ingénieux… »
Saghir, piqué au vif ne comprenait plus rien… Son frère, son soutien, son assistant, le laissait-il choir au beau milieu du long et beau chemin ? Son inconstance ? Il supposait que Figeac avait comprit… Ces moments de découragements ne sont en fait que des étapes de pures réflexions, des repos nécessaires à sa pauvre tête, le temps qu’elle ordonne toutes ces pages dans un coin sombre de sa mémoire…
- Imaginaire, imaginaire, est-ce que j’ai une gueule d’imaginaire ?
Jacques-Joseph,
« Si je suis une jeune tête qui se crée des systèmes imaginaires qui n’ont d’autres bases que des subtilités, pourquoi vouloir faire imprimer ma géographie égyptienne, pleine de ces mêmes sujets ? Traite-moi de fou, cela ne m’empêche pas d’étudier mon antiquité par les langues, d’aimer les étymologies et même, blasphème noir, d’avoir un profond respect pour le bas-breton. »
In Champollion, une vie de lumières. Jean Lacouture
Mon frère,
« … Avec ton monde sçavant tu crois me terrifier. Mais sais-tu ce que c’est que ce monde sçavant ? Ce monde sçavant est comme le monde politique, mené aveuglément par un chef qui mérite ou non de commander, par un chef dont on croit toutes les opinions parce q’elles sont de lui (…) jusqu’à ce qu’un autre plus fort, plus malin ou plus adroit vienne renverser ce système reçu, et en mettre un autre à la place… N’a-t-on pas cru longtemps que la terre était plate ? Le monde sçavant en ce temps-là le croyait. »
In Champollion, une vie de lumières. Jean Lacouture
Mon très cher frère,
« Les papyrus sont toujours présents à mes yeux. C’est une palme si belle à cueillir ! J’espère qu’elle m’est destinée ! »
In Champollion, une vie de lumières. Jean Lacouture
Septembre 1809…
Jean-François est assis à sa table de travail. Face au grand miroir, il se parle.
- Au moins, moi, je ne me vois pas de dos, comme tous ces parisiens... Dit-il.
Je me fais face ! Assez ! Assez de courbettes chez les uns et les autres pour ceci, pour cela. Assez de la Bibliothèque Impériale, du Collège de France. Assez de syriaque, de l’hébreu, du chaldéen, cela ne me mène à rien. Assez de papyrus, de Rosette… Rien ne marche, rien ne colle. Assez de mes habits de pataud provinciaux. Assez de Paris, de sa boue, de ses méchants, de la mère Mécran.
Monsieur le marquis de Fontanes, Grand Maître de l’Université impériale m’a fait grand honneur en juillet avec sa proposition de me désigner professeur adjoint d’histoire ancienne à l’université de Grenoble… Au moins, je serai en paix ! Professeur à vingt ans, c’est plus qu’honorable ! Sera-ce mon prix à payer pour avoir la paix ?
Mon très cher Jacques-Joseph,
« D’ailleurs, je connais notre siècle et les savants de nos jours ! Si j’avais le malheur de pousser plus loin ma découverte, j’aurais tous les savants présents et à venir sur le corps, des critiques, des censures et plus de repos.
D’ailleurs, je crois que l’étude de la haute archéologie, à laquelle je me livre, n’est point susceptible d’avoir des résultats qu’on puisse soumettre au public assez imbécile dans ce moment. Car le moindre de ces résultats, choquant toutes les opinions reçues, ne peut être adopté que d’un bien petit nombre de personnes instruites… »
In Champollion, une vie de lumières. Jean Lacouture
« Vouloir est une habitude qu’on prolonge tant qu’on peut ; Je ne suis que lassitude, mon vouloir plus rien ne veut. »
Fragments d’un journal intime. Henri Frédéric Amiel
Grenoble, le 8 août 1808,
« Lorsque tu verras Jomard (…) dis-lui que M. Fourier est un peu malade, que le discours préliminaire s’avance tous les jours, qu’il faut encore à M. Fourier trois mois pour le finir, enfin qu’il est découragé totalement et que je crois que M. Jomard ferait bien de lui écrire souvent dans son pénible accouchement car c’en est bien un pour M. Fourier et je crains qu’il n’en devienne malade… »
In Champollion, une vie de lumières. Jean Lacouture
Paris, le 9 octobre 1809,
« J’ai passé la journée de jeudi (…) en tête à tête avec M. Fourier. Il me lut son mémoire astronomique. Il l’a fait précéder d’un exposé de l’état de l’Égypte sous les Pharaons, en 83 pages. J’ai plusieurs fois levé le chapeau, comme Piron, devant les idées que nous lui avons inculquées, mais dont il a tiré parti avec son esprit ordinaire. Je lui ai fait cependant corriger dix ou douze passages qui se sentaient des principes de la vieille école. Il les a changés avec la soumission la plus exemplaire. Je lui en sais gré infini ; cela prouve que nous avons quelques lumières… »
In Champollion, une vie de lumières. Jean Lacouture
- Saluez-bien votre frère pour nous ! S’écrièrent M. Dacier, Millin, Chiftiki, Villiers du Terrage, en agitant un mouchoir à leur main. Jean-François Champollion, la tête hors de la voiture qui quittait la rue du Coq-Héron, en fit de même en promettant d’être de retour avec la clé en poche.
Ils suivirent tous de leurs yeux embués la noire diligence tant qu’ils purent, s’étonnant de ce mince filet de sable brillant s’en s’échappant par l’arrière. Puis, elle franchit les arcades du Louvre, se miniaturisa avant de disparaître de l’autre côté de la cour, vers la Seine, direction les montagnes de Grenoble.
“Bruno, le maître d’hôtel, fit entrer les deux frères… “
Ce maître d’hôtel, Bruno, existe bel et bien, je l’ai rencontré. Dans la vie vraie, il s’appelle Bruno Lantuas. Je le connais, et pour cause… Lui, quelques autres, et moi-même, partageons ensemble un rare quotidien, témoins privilégiés et historiques au service d’une personnalité très chère et si rare.
Dans ce chapitre « 1807 – 1809 », lorsqu’entre en scène le personnage du maître d’hôtel, tout naturellement il m’est apparu, lui, vêtu de son habit impeccable, dans un style inimitable vieux de plusieurs siècles.
On l’imagine aisément avoir traversé les époques, les Cours, les Empires, les salons bourgeois, avec la même geste, les mêmes mots, de sa haute Classe.
Le ciel bleu sur lui pourrait s’effondrer qu’il ne se déparerait point de son flegme so british.
Le temps s’est fait respectueux, il ne l’a point touché, point empoussiéré, point toiledarraignisé.
Mon très cher Bruno, avec grand respect, je te dédie ce chapitre…
Amitiés sincères.
Patrick Kararsi