-Savez-vous que jadis, Jacques-Joseph avait lui-même frôlé l’ondoiement ? J’ai vite procédé au baptême du divin enfant de peur que… Enfin, et puis… Croyez- moi si vous le pouvez mais… Le curé hésitait, cherchait ses mots…
Le maire vit soudain le visage de l’abbé Bousquet se transformer, mêlant effroi et étonnement.
-Oui mon père, croire quoi ? Que s’est-il passé ?
-Non c’est idiot…
-Mon père j’insiste, qu’y a t-il eu de si étrange ?
Le curé restait songeur…
-Eh bien Soulhol, je… Je… Mais il se tut, se murant dans un énigmatique silence, revivant cette scène de la précédente nuit, ce tourbillon de sable, virevoltant, dans son église autour de lui, autour des petits…
Qui le croirait ? Les parents présents crurent apercevoir une nuée de poussière et s’en protégèrent les yeux. Mais sur les saints Évangiles je jure, mon église était close et c’était bel et bien du sable !
Ils n’ont rien vu, ou peut-être, pas voulu voir…
Il se reprit…
-Rien ne sera plus comme avant pour moi maintenant mon cher, oui plus rien. Ça, je le sais, je le sens, mais ne saurais l’expliquer.
Le curé semblait parti vers un ailleurs, cherchant ses gestes, ses mots (4)… allez, à demain soir pour la messe mon fils et portez-vous bien.
Le maire, décontenancé, prit congé de son ami l’abbé. Il s’apprêtait à franchir la porte de l’église lorsque soudain il se retourna et dit :
Au fait, Monsieur le curé d’où vient ce sable sur le chemin ?
Le curé n’eut point le temps de répondre… -Du sable ? Je ne sais mon brav… Le maire était déjà parti. Encore ce sable… Mais qu’est-ce donc que cela ? Dès avant le baptême les Champollion m’en avaient déjà soufflé mot, faut que j’aille voir.
Il se camoufla sous son épaisse cape noire, enfonça son chapeau, pris sa canne, sa lanterne et s’élança en plein déluge.
-Quel fichu temps seigneur !
Il projeta sa lumière au ras du sol… Et en effet, il y avait bien du sable. Un tapis de grains dorés faisait chemin, partait du parvis et descendait vers la gauche sur le Boutaric. Il le suivi, tenant sa lampe tempête bras tendu.
-Par ici, la place Haute, maintenant par là.
Ça tourne là, impasse de la Boudousquerie… Continuons… Oh ! Seigneur tout puissant… Là, devant la porte des Champollion…
L’abbé arriva devant cette entrée digne d’une chapelle et ne put prononcer mot car au même instant elle s’ouvrit.
-Mon père ! S’écrièrent à l’unisson le maire et Jacques Champollion. Entrez donc…
-Je… Je… Je venais m’enquérir… de… heu… de sa santé et féliciter Madame Champollion.
Allons, entrez vite mon père…
-Pardon l’abbé je vous donne la place… le maire sortit puis disparut.
Au moment d’entrer, l’abbé Soulhol hésita quelques secondes sans trop savoir pourquoi. Son attention fut comme aspirée là-bas vers l’entrée de l’impasse… Stupéfiant ! Une mini tornade approcha de lui,
le frôla, puis s’évapora. C’est à peine s’il eut le temps de se protéger les yeux. Il se reprit, secoua sa cape, son chapeau et regarda machinalement le sol… Il n’y avait plus de sable.
Il était venu, avait vu et cru… il se signa, entra en bénissant la maison où venait de naître
Jean-François Champollion.
(1) Pierre Goubert, historien, démographe, spécialiste des XVII et XVIIIème siècles.
(2) Olivier Coquard, enseignant, agrégé d’histoire et docteur ès lettres.
(3) 1789, en cette date, la France est fille aînée de l’Église.
Serment obligatoire élaboré par l’Assemblée Nationale Constituante en date du 27 novembre 1790 :
“ Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse (ou du diocèse) qui m’est confiée, d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le Roi.“
Décret contre les réfractaires : 29 novembre 1791 :
En résumé, tout prêtre ayant refusé de signer ce décret précédent ne pouvait plus invoquer la Constitution, perdait traitement ou pension, deviendrait suspect et soumis à surveillance. Le Roi Louis XVI usa de son véto pour contrer ce décret.
(4) L’abbé Bousquet se trompa bel et bien sur le registre paroissial en donnant au parrain le prénom du nouveau-né Jean-François. (La faute au tourbillon de sable ?)