LE RETOUR
Notre déchiffreur reçoit un courrier de Paris dans lequel Jacques-Joseph son frère l’ informe que le navire qui finalement viendra le chercher, l’Astrolabe, ne pourra quitter Toulon avant le 5 octobre et se dirigera d’abord vers la Syrie avant de revenir jeter l’ancre à Alexandrie. Son commandant en sera un Quercynois, Verninac de Saint-Maur.
Ce contretemps fâcheux ainsi que la forte houle retient notre égyptologue bien malgré lui dans l’ancienne capitale culturelle antique, sans pour autant le laisser oisif…
Pendant ces journées de « liberté » il va de nouveau faire montre de toute l’universalité de son génie. Il demande audience au Pacha Méhémet Ali afin de plaider la cause des pauvres fellahs qui ploient sous les corvées et les taxes, le tout dans une misère sans nom. Il lui remet également un mémoire pour la sauvegarde des monuments anciens, l’adjurant de faire cesser pillages et autres destructions de ce fabuleux patrimoine qui maintenant appartient au monde.
« … Il est du plus haut intérêt pour l’Égypte elle-même que le gouvernement de Son Altesse veille à l’entière conservation des édifices et monuments antiques (dont) toute l’Europe savante ( …) déplore amèrement la destruction. (…). On sait bien que ces démolitions barbares ont été exécutées contre les vues éclairées et les intentions bien connues de Son Altesse, et par des gens incapables d’apprécier le dommage que, sans le savoir, ils causaient ainsi au pays ; mais ces monuments n’en sont pas moins perdus sans retour… ».
Il vient en aide à son ami Barthélemy Clot afin que l’hôpital du Caire ne soit pas transformé en soierie…
Il se fait l’avocat du projet de Linant de Bellefonds qui veut créer à partir du Nil un réseau de canaux d’irrigation.
Et ce n’est pas tout… Il met au point un moyen de transport pratique et fonctionnel pour le futur voyage des obélisques (« entiers et avec socles », précise-t-il) de Karnak à Paris par fleuves et par mers. Il est fourbu, harassé, de santé usée notre illustre Français, mais il n’en reste pas moins lucide, attentif à tout ce qui l’entoure, aux choses, aux gens, à la liberté, à la justice et il n’hésite pas à mettre tout son « embonpoint » dans la balance lorsque son autorité naturelle ne suffit pas. Il ne menace pas, il en impose… Le premier égyptologue est devenu un « Maître » tout en intelligence, en exemple, en respect.
Il découvre aussi avec stupéfaction et horreur qu’une partie des objets qu’il avait confié à Duchesne s’est «volatilisée ». Ce dernier parti pour la Grèce avait laissé en dépôt les antiquités entre des mains peu scrupuleuses. Le déchiffreur ne se consolera jamais de cette « perte » car ces trésors avaient pour destination les vitrines de son cher musée égyptien.
Le 5 décembre 1830, la corvette s’ébranle…
Quinze mois d’émotions et de travaux égyptologiques fructueux se terminent… Il vérifie pour la énième fois l’installation, les amarrages des quatorze caisses d’antiquités dans le ventre de l’Astrolabe qui elles, à moins d’un naufrage, agrémenteront bien son Louvre.
Il grimpe sur la proue pour superviser dans un premier temps, puis finalement pour admirer le travail du capitaine remorqueur qui se faufile avec une agilité et une dextérité digne d’un virtuose pour d’extraire le « Navire Solaire » de cette forêt de mâts.
En croisant au large d’Abousir (Aboukir), lui reviennent en mémoires les paroles de son grand ami Étienne Geoffroy Saint-Hilaire :
« … Et cependant, c’est maintenant que nous avons le plus le droit à une estime de nos concitoyens, car nous avons recueilli les matériaux du plus bel ouvrage qu’une nation ait jamais entrepris ! ».
Les embruns sortent le maître de sa léthargie…
« Ce soir le vent est le plus fort… Il nous pousse, nous éloigne, nous chasse loin du Pays des Deux Terres non pas de colère mais parce qu’il sait que l’on m’attend de l’autre côté de ce grand lac : une petite fleur de printemps, un musée, une chaire d’archéologie, un siège à l’Académie, oui, tout cela est pour moi. »
La lumière de RÂ pâlit... Un voile ténébreux couvre le cœur de Jean-François.
« Quitter mes Anciens Égyptiens pour retrouver mes combats parisiens ne m’enchante guère, surtout que mes forces et mon énergie resteront ici, chez elles, avec Isis, Osiris et Ramsès…
Il y a bien pire… Combien d’années, de mois, de jours me laisseront-ils vivre, ceux du territoire des ombres afin que j’achève mes travaux ? Il me reste tant encore à faire.La mort m’attend à Babel, je le sens, je le sais.
Ô que j’ai hâte de revoir ma chère Zoraïde et de la serrer fort dans mes bras… Elle me manque tellement. Entendre sa petite voix m’appeler mon papa chéri… Ma belle petite perle d’amour… Voilà la douce nourriture de mes rêves pendant la traversée… »
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