Lumineux-Champollion
  Lumineux-Champollion

Place Gaillon, la calèche s’immobilisa pour laisser passer un cortège de gens d’Église qui débouchait de la rue Neuve-Saint-Augustin 

et se rendait probablement à Saint-Roch…

Marengo patienta… Puis il  reprit son pas lent en s’engouffrant rue Michodière…

Les deux passagers saluèrent ensemble deux Messieurs

à droite qui arrangeaient la devanture de leur boutique 

« AU BONHEUR DES DAMES »,aidés en cela par la petite fille de l’un d’eux…

-Bonjour Messieurs Deleuze, bonjour  Mam’zelle     Caroline…

Les deux boutiquiers et la petite se retournèrent et adressèrent à ces Messieurs de la calèche en retour, leurs salutations d’un geste de la main,reconnaissant les maris de quelques clientes qui fréquentaient assidûment leur boutique.

 

Un peu plus loin, cérémonial identique…

 

 (B.A.B.)

-Tenez, là… Voici le garçon dont je vous avais entretenu il y a peu…

Et Maître Bonnefons d’un geste discret indiqua à son voisin un jeune homme sur la droite, barbu, échevelé, courbé, presque recroquevillé sur un petit tabouret à trois pieds. Il paraissait tout absorbé par son travail de sculpture sur un manche de bois sombre.

(B.A.B.)

-Bonjour mon p’tit Bourras, toujours à l’ouvrage ?

-Hé… Pardi… Faut bien savoir remplir sa gamelle ! Répondit le Garçon, un peu effrontément…

(B.A.B.)

-Un peu bourru le bougre… Mais quel talent ! Voyez… c’est lui qui a sculpté le pommeau de ma canne en forme de « marteau », notre emblème à nous les crieurs !

C’est « votre »  Charles qui me l’a présenté… Ils se   connaissent depuis toujours… D’ailleurs, il le         surnomme « bourrasque », tant il est aimable… Ahh ahh !

(H.C.)

-Ma foi, répondit le notaire, c’est un véritable artiste, au caractère qui va avec, bien trempé…  Il est vrai   que j’ai rarement remarqué autant de détails sur si peu d’espace…

Je prédis une belle carrière à ce jeune homme.

Puis vers la gauche…

(H.C. - B.A.B.)

-Bonjour Monsieur Hauchecorne, bonjour Baudu…

Ces Messieurs répondirent comme un seul homme :

-Bien le bonjour pour  vous également Messieurs…

Monsieur Hauchecorne assisté de son jeune commis Baudu tenaient, eux, le magasin « Au Vieil Elbeuf », drapier, tissus en tous genres, molletons, habits de chasse, de quoi ravir Dames et Messieurs de la noble bourgeoisie parisienne…

 

Le boulevard des Italiens est atteint. On dépasse les rues de Choiseul, Grammont, Marivaux, puis virage sur la droite, rue Favart.

Le théâtre des Italiens semble  regarder passer ces hommes tout de noir vêtu… Sans s’être concertés, ils le regardent, le longeant sur la droite. Un léger frisson les surprend.

 

(Le théâtre des Italiens regarde passer ces Messieurs)

-Ils s’en viennent visiter « l’ombre » de ce Grand Homme qui rayonnait chaque matin auprès de moi…  

 

 

   « La vie n’est qu’un bref éclair de lumière entre deux éternités d’obscurité. »

                                                                                                                                                    Vladimir Nabokov

Ils ne sont plus qu’à une centaine de pas de leur destination « finale ».

Charles arrêta son beau cheval gris qui eut soudain un mouvement d’humeur, lui d’habitude si calme…

Il lui parla, le rassura, puis descendit de son banc pour ouvrir le portillon à ces Messieurs.

Les deux hommes mirent pieds à terre ; presque solennellement…

Ils sentirent quelque chose crisser sous leurs pas… Du sable…

Maître Castel à cet instant adressa un regard par lequel il exprimait ces mots : « Du sable au n° 61, du sable au n° 11, le même sable doré ici… Comprenez- vous maintenant ? »

 

Benoît-Antoine comprit en effet…

À partir de cet instant, il pénètrerait dans un entre-deux Monde qui lui est totalement inconnu… Un espace où tout est « supérieur »… Un éther où les Grands Esprits se meuvent.

Il vient de réaliser que s’ils sont là, Hippolyte et lui-même, ce n’est certes pas par « hasard » non plus. Ils en sont DIGNES… Alors ce sable, un         ambassadeur ? Un messager ?

Voilà ce qu’Hippolyte savait déjà, voilà ce que Benoît vient d’intégrer à sa pensée « cartésienne »  dont la lourde porte vient d’être « arrachée » de ses gonds.

 

-Bien… Nous y voilà… (Hippolyte Castel le notaire   reprend corps)…

-Il est cinq minutes avant 11 heures… Charles vient nous chercher pour 17 heures…

Cela vous semble bien, Benoît ?

-Heu… Oui, oui, je pense… (Le commissaire-priseur   repris lui aussi contenance)…

(Ch.)

-Monsieur, je vais nourrir Marengo et je reviens… Ne vous inquiétez point, je serai à l’angle de la rue       Grétry à 10 pas à l’ombre. J’ai toujours de quoi     m’occuper !

Il montra la pile de livres, ses « amis » comme il     aime à les surnommer qui se trouve sous sa     banquette…

Les deux officiers de l’État sourirent… Charles les salua. Puis, ils assistèrent à la manœuvre de la calèche qui fit un demi-tour et s’éloigna en direction du Boulevard.

 

Au moment de pénétrer dans l’immeuble, ils eurent un réflexe identique. Ils levèrent les yeux vers les fenêtres du troisième étage, comme si quelqu’un     venait de les appeler.

Ils se regardèrent…  Enfin, ils  passèrent la porte de ce numéro 4, gravirent les escaliers jusqu’au         troisième palier.

Ils rajustèrent leurs tenues, ôtèrent gants et       chapeaux.

Maître Castel frappa trois coups…

De petits pas se firent entendre sur le parquet à l’intérieur.

La porte s’ouvrit.  Apparu une ravissante petite fille à la chevelure noire et abondante.

-Bonjour Mademoiselle, je suis Maître Hippolyte     Castel et voici mon adjoint Maître  Benoît     Bonnefons…

La charmante Demoiselle se présenta à son tour, avec dans la voix un ton qui dénotait toute sa fierté d’être la fille de son illustre père.

-Je me nomme Zoraïde Champollion. Entrez, je vous en prie.

Puis elle appela son oncle « Figeac ».

-Mon oncle, votre rendez-vous vient d’arriver…

Elle désigna un porte-manteau et une console afin que ces impressionnants Messieurs se mettent à leur aise.

Elle referma la porte, se jeta dans les bras de la servante puis elles disparurent.

 

L’appartement, confortable à première vue, qui       accueillait en ses murs il y a peu de temps encore un Génie, baignait dans une atmosphère             indéfinissable… De grands rideaux étaient tirés, ne laissant filtrer que d’infimes rais de lumières…     L’ordre, dans la tristesse, régnait ici… « Figeac » suivit de Maître Thomas et du clerc arrivés eux plus tôt apparurent.

-Bonjour Messieurs… Bien, j’ai réglé certaines choses avec vos collaborateurs…

Les deux arrivants n’avaient pas remarqué la présence de Rose Champollion dans le petit salon. Elle se tenait debout devant une fenêtre, à demi cachée par le rideau. Elle fixait la rue en direction du théâtre.

Jacques-Joseph toussota afin de la sortir de sa torpeur.

-Mon amie, voici Maître Castel et Maître Bonnefons…

Rose leur adressa un léger signe de tête. Des larmes coulaient en liberté sur son beau visage. Elle n’avait plus la force de les retenir, et la solennelle présence de ces Messieurs n’y changerait rien… À quoi bon d’ailleurs… Être digne, maintenant… Pour qui ? Pour quoi ?

Elle revoyait la Place des Italiens, où s’époumonait son défunt mari à courir après leur « petit       chameau ». Leurs rires emplissaient encore son cœur et son âme…

Les officiers de l’État s’isolèrent un moment, puis revinrent, prêts à l’acte, tandis que Jacques-Joseph,   ce frère, ce « père », ce « maître », qui n’était plus que l’ombre de lui-même, s’activait à ranger encore des choses qui ne l’étaient que trop déjà.

 

La petite Zoraïde accourut pour se blottir dans les bras de sa maman. Elle regarda par la fenêtre…

-Oh regarde maman là-bas… Tu vois ? On dirait un   tourbillon de sable ! Comme papa en voyait en       Égypte !

Rose déposa un baiser sur le front de son enfant, puis alla tirer tous les gros rideaux pour laisser entrer la « Lumière ».

 

« Figeac » prit la parole… Il fixa chacun de ces Messieurs puis dit :

-Nous sommes prêts, Messieurs… C’est à vous...

 

Benoît-Antoine Bonnefons jeta un dernier coup d’œil à la liste descriptive de chacun des objets pour lesquels il indiquait dans la marge une estimation. Il nettoya les lorgnons ficelés autour de son cou. Il était prêt…

 

Antoine-Juste-Alphonse Thomas, lui, le second notaire,  demanda à la domestique s’il était possible d’ouvrir une fenêtre dans une pièce côté cour afin qu’un peu d’air frais vienne « apaiser » l’atmosphère, car, il lui dit à voix basse :

-La journée va être longue… Je sens quelque chose de « mystérieux » ici… Je ne dirais point que cela me perturbe… Non… Mais, un peu d’air me ferait, nous ferait du bien…

 

Comprenez-vous ? La vive émotion faisait trembler un peu ses mains…

 

Le clerc,  avait pris place au bout de la grande table. De temps en temps, il s’éventait le visage d’une     feuille. Il ne cessait de parcourir de ses yeux ce lieu   qu’il sentait « magique »… L’on eut dit que, de cet   émoi général mais tu, il en recherchait la             « source »… De temps à autre, machinalement, il   vérifiait les plumes d’oie, son encrier, sa pochette de feuilles impeccablement blanches qui s’apprêtaient, e elles, à recueillir les ultimes instants sur terre  de la vie du Génie.

 

Hippolyte Castel, grand ordonnateur en ce jeudi 9   août 1832 en ce lieu, embrassa cette  « Cène » d’un   regard de grand professionnel qu’il était.             Parfaitement conscient que pendant ces heures, il   ne serait point seulement le « Notaire » de       l’inventaire après décès du Grand Homme, mais     l’Emblème de sa Corporation, rendant un ultime       hommage à l’ «Égyptien ».

 

(les notes qui suivent sont issues de l’inventaire après décès de Jean-François Champollion effectué les 9 & 14 août 1832 à son dernier domicile, rue Favart numéro 4.  Réf :CVI 807 – 9 août 1832 Arch. Nat.)

 

L’an mil huit cent trente deux, le jeudi 9 août, onze heures du matin.

 

À la requête de Madame Rose Blanc, veuve de Monsieur Jean-François Champollion, membre de l’Institut,           Conservateur de la collection Égyptienne du musée du     Louvre, Chevalier de la légion d’honneur, et de l’ordre de   saint-Joseph de Toscane, professeur d’archéologie au       Collège Royal de France, demeurant à Paris rue Favart n°4.

 

Procurant en son nom personnel à raison des créanciers et droits matrimoniaux qu’elle a agréés contre la succession de feu son mari et en outre au nom et comme tutrice       naturelle et légale de mademoiselle Zoraïde Eulalie         Champollion sa fille mineure issue de son mariage avec feu Monsieur Champollion ci-dessus nommé.

 

En présence de Monsieur Jacques-Joseph Champollion-     Figeac, conservateur à la bibliothèque de Roi, Chevalier de la légion d’honneur, demeurant à Paris rue des Petits-Champs numéro12.

 

Procédant en qualité de subrogé tuteur de la Demoiselle mineure Champollion, nommée à cette qualité qu’il a       accepté aux termes d’une délibération du conseil de famille de cette mineure reçu et présidé par Monsieur le juge de   paix du deuxième arrondissement de Paris, assisté de son greffier, le neuf avril dernier, enregistré.

 

La Demoiselle mineure Champollion habite à ce dit-lieu, et portée seule et unique héritière du défunt Jean-François   Champollion son père.

 

 

À ces mots la petite Zoraïde ne put contenir son       chagrin. Rose, la maman appela la domestique et lui confia sa petite, trop émue à l’évocation du souvenir de son « petit papa chéri ».

 

 

À la conservation des droits et intérêts de la Dame Blanc veuve Champollion et de sa fille mineure et de tous autres qu’il appartiendra, il va être par M. Hippolyte Castel et son collègue notaire à Paris, soussignés, procèdera à l’inventaire et description …. des meubles, meublons, et autres effets mobiliers, titres, papiers et renseignements dépendant de la succession du Sieur Champollion trouvés l’étant dans les lieux et après désignés faisant partie d’une maison sise à Paris, rue Favart numéro 4 dans laquelle M. Champollion est décédé le quatre mars dernier.

Cet inventaire aura lieu sur la représentation qui sera faite par Mme veuve Champollion .........................................

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                                                                                                   Suite page 5

 

MISSION CHAMPOLLION

 



Par Patrick Kararsi

  

   

Statue de Bartholdi – Collège de France .   « Je veux consacrer ma vie à l’antique Egypte. » JF Champollion. Statue de Bartholdi – Collège de France . « Je veux consacrer ma vie à l’antique Egypte. » JF Champollion .
JFC par Mauzaisse 1830 (Copie, don de Mr Hervé Champollion) JFC par Mauzaisse 1830 (Copie, don de Mr Hervé Champollion)
JFC par Rougé JFC par Rougé
JFC par Étex JFC par Étex
JFC à l'IFAO au Caire JFC à l'IFAO au Caire
JFC JFC
JFC par Mme de Rumilly 1823 JFC par Mme de Rumilly 1823
JFC par Angelelli 1836 JFC par Angelelli 1836
Hermine Hartleben 1ère biographe de JFC 1906 (Don de Mr Martin Hartleben) Hermine Hartleben 1ère biographe de JFC 1906 (Don de Mr Martin Hartleben)
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