IL FAUT SAUVER LE DÉCHIFFREUR CHAMPOLLION
-Troisième partie -
« L’homme n’échappe aux lois de ce monde que la durée d’un éclair. Instants d’arrêt, de contemplation, d’intuition pure, de vide mental, d’acceptation du vide moral. C’est par ces instants qu’il est capable de surnaturel. »
Simone Weil, OE, VI-2, 201
« Tant que le cœur conserve des souvenirs, l'esprit garde des illusions. »
François-René de Chateaubriand
Theodor Harten, alias Hermine Hartleben a donc « commis » les 22 et 23 décembre 1891, ce que je nommerais une « ingérence littéraire »…
Nous sommes cent-un ans après la naissance d’un incroyable génie. Laisserait-on l’étoile de celui-ci s’éteindre pour toujours ? Ou pour très longtemps? (1450 ans, un millénaire et demi de silence des hiéroglyphes égyptiens).
Le constat est pourtant vite fait. Rien… Aucune célébration, aucune commémoration…
Champollion ? Qui est-ce ?
« Qui aurait cru que cet homme qui avait révélé au monde des millénaires perdus et un grand peuple oublié, ne trouverait que 75 ans après sa mort un biographe ? De plus, c’est une dame allemande qui a eu cœur de parler du grand Français et qui, après des années de travail de recherche et de collection d’informations à Figeac, Paris et en Italie, a façonné la présente œuvre.
Ce que Mlle Hartleben a recueilli avec tant de zèle et d’enthousiasme admirables offre une image des plus particulières de l’histoire de la science. (…) L’histoire du déchiffrement forme le noyau et le véritable aboutissement de l’ouvrage d’Hartleben. On y trouve toutefois de nombreuses autres choses d’intérêt, en particulier un aperçu de la vie politique de l’époque et qui forme l’inquiétante toile de fond de la courte existence de Champollion. »
Adolf Erman, Deutsche Literaturzeitung, 6 octobre 1906
Rendre hommage au déchiffreur, d’accord… Mais qui, où, quand, comment ?
Tous, archéologues, égyptologues paraissaient tétanisés aux pieds du monstre sacré.
Il a fallu attendre la « Mère »… La « conception » (mise en place de son projet), puis après, la « naissance » (la rédaction de son œuvre), puis « l’éducation » tout l’amour, toute la tendresse qu’elle peut offrir à « son » enfant ( la sauvegarde de la mémoire pour la postérité, cette sublime et très émouvante biographie sur le Maître).
Oui, je sais maintenant que ce 9 décembre 1891, Hermine, devant ce tableau, a reçu bien plus qu’un choc, c‘était la Révélation Suprême, Sa Mission.
Voilà, la voie est tracée, la locomotive à pleine vapeur est lancée, et rien ne pourra plus l’arrêter.
Quelques jours après la parution du feuilleton Champollion des 22 et 23 décembre 1891, Léon de la Brière, gendre d’Aimé Champollion (neveu du déchiffreur) en prend connaissance au hasard d’une promenade boulevard des italiens à Paris. Immédiatement, celui-ci expédie à l’auteur un courrier empli de remerciement et de gratitude auquel il joint une liasse de documents familiaux qui permettront à notre Hermine de rédiger un nouvel article intitulé : « Les deux Champollion ».
La loco-Hermine » gagne sa vitesse de croisière « égyptienne ».
Elle fera connaissance au musée de Berlin d’Adolf Erman, directeur des antiquités égyptiennes, qui lui-même la mettre en relation avec Georges Perrot, directeur de l’école Normale Supérieure et de Gaston Maspero, éminent égyptologue français, directeur des antiquités égyptiennes du Caire.
Hermine vient en France, à la « recherche » du déchiffreur… Ce sera la bibliothèque de l’institut, la bibliothèque nationale. Puis, Vif, fief de la famille du Maître. Fontainebleau sera le cadre de sa rencontre avec Zoé Falathieu, nièce de Jean-François. Les deux femmes se verront régulièrement jusqu’au décès de cette Dame survenu en mars 1903, dans sa 88ème année.
Printemps 1895, Figeac. Hermine dormira dans la chambre du déchiffreur…
Chaque figeacois, chaque figeacoise, seront de précieux renforts dans ses recherches.
Grenoble… Le bibliothécaire en chef sera d’un dévouement qui fera honneur au grand homme.
1897… Année de tous les troubles. Hermine ne sait plus que faire. Son esprit est en proie au doute. Le Champollion dont elle a cerné la vie maintenant, sa pensée instinctive, ses notes subites, franches, claires, sa science ardue se heurtent de plein fouet maintenant avec l’époque d’Hermine, où tout a évolué, les mentalités, l’égyptologie… Elle demande de l’aide à son ami Maspero. Pour elle, le Maître doit être montré tel qu’il était, à l’état brut, insolent, impertinent, brillant, génial, superbe dans ses habits de déchiffreur. Elle le veut « réveilleur des Mondes ».
Dans les années 1894/1898, Notre futur biographe commet quelques articles « hors Égypte »… Peut-être histoire de respirer un peu, de reprendre de nouvelles forces en vue de la réalisation de son grand-œuvre.
Fin 1903, la biographie sur Jean-François Champollion semble pratiquement rédigée. Seuls, quelques légers détails restent à mettre en place.
Jean-François Champollion, sa vie, son œuvre est prêt à paraître. Il va se rappeler « URBI ET ORBI ».
Un dénommé Richard Pietschmann, qui occupait une chaire d’égyptologie à Göttingen, informe Hermine de son expertise sur sa biographie de Champollion ; « Ce sera un tel succès… » L’imprimatur est acquise. Néanmoins, cela n’empêche pas Fräulein Hartleben de rester sur ses gardes.
1905… Georges Perrot également a craint une censure des éditeurs (Hermine étant « étrangère » sans diplôme à l’égyptologie), et il accueille l’ouvrage comme un « cadeau de fête ».
1906… Parution de Champollion, sein leben und sein werk chez Weidmann à Berlin
en deux tomes.
1909… La biographe fait paraître à Paris les lettres et journaux écrits pendant le voyage en Égypte et en Nubie pour lesquelles elle reçoit un prix dans la catégorie « ouvrages d’Orient » par l’Académie des Belles Lettres.
Une somme de 1000 francs la récompense de son travail « pharaonique ».
(L’écrivaine et incontestable soutien d’Hermine, Gertrud Bolle, ayant interpelé la Fondation Schiller, l’a décrite comme endettée, de santé ruinée, notamment sa vision, ayant absolument tout sacrifié à son projet « Champollion ». Elle demande pour elle une « attention, un geste ». Elle ne sera pas entendue.)
Le secret d’Hermine…
Repose calmement, mon tendre amour,
dors jusqu’à ce que ta bonne fortune s’éveille.
Tiens, je te donne mon portrait.
Vois comme il te sourit avec bienveillance !
Doux rêves bercez son sommeil
et que ce qu’il imagine
dans ses rêves d’amour
devienne réalité.
W. A. Mozart, Zaïde K344 : aria : ruhe sanft, mein holdes leben.
Kaltenweide, le 26 août 1910.
Monsieur le Secrétaire perpétuel, je vous saurez gré de bien vouloir exprimer mes remerciements les plus chaleureux à l’ensemble de l’Académie. le prix que vous m’avez décerné me sera d’une grande aide et me permettra de réaliser mon souhait de trouver des choses nouvelles concernant la vie et l’œuvre de votre compatriote.
Veuillez m’adresser la somme octroyée en forme de lettre de change émanant du ministère des Affaires étrangères, qui pourra m’être remise à la chancellerie de l’ambassade française à Berlin.
Avec l’expression de ma considération distinguée,
Hermine Ida Clémentine Hartleben. (Clémentine ?)
Hermine Ida Auguste Hartleben, née le 2 juin 1846…
Auguste Clémentine Sophie, née le 21 juillet 1836, morte le 10 octobre 1836 de convulsions.
Hermine signe la lettre de ses prénoms en ajoutant celui de sa grande sœur Clémentine décédée 10 ans avant sa naissance. C’est touchant, émouvant…
Le secret d’Hermine est-il là, présent dans ce doux prénom : Clémentine ?
Le souvenir, l’âme de cette sœur défunte, de même sang, de même chaire, l’a sans doute « hanté » toute sa vie…
Que vaut alors sa passion égyptienne, son dévouement au grand Champollion devant ce prénom ? Elle détient en son cœur le cœur de cette sœur qu’elle n’a pourtant pas connue. Je m’incline bien bas… Je n’ai qu’une larme d’émotion à vous offrir Hermine. Mademoiselle Hermine Ida Auguste Clémentine Hartleben, Dame de cœur, Dame d’Égypte, en vérité je vous le dit, VOUS ÊTES UNE SAINTE…
« À Silke Zimmermann, ma traductrice allemande, qui a su redonner vie à cette immense Dame grâce à ses travaux d’une qualité exceptionnelle.»
« Chère Silke, vous avez été l’ombre de mon Hermine Hartleben, et pour cela, pour ces émotions, veuillez agréer ma gratitude éternelle.» P. K.