Lumineux-Champollion
  Lumineux-Champollion

 

Décidément, « Cadet » vit dans un autre monde… Rien ne saurait le distraire de sa fureur égyptienne. D’ailleurs, en parlant de fureur, le voici en colère :

 

« Les monuments égyptiens abondent partout excepté en France et cela par les fantaisies obstinées de trois où quatre faquins dont la nouvelle étude dérange les idées et les intérêts, ce qui est tout un pour eux… Vous verrez qu’il y aura bientôt un musée égyptien dans la capitale de la république de St-Marin tandis que nous n’aurons à Paris que des morceaux isolés et dispersés. »

 

Il a la passion amoureuse et la jalousie maladive mon champion… Amant éternel, amoureux perpétuel… Après avoir été le premier déchiffreur de l’Égypte, être le premier égyptologue, il ne veut pas devenir le dernier des conservateurs d’art égyptien. La France, en effet, tarde un peu à se rendre compte qu’elle a pour enfant la plus brillante lumière de ses Lumières, et que l’enjeu égyptien est en devenir grâce au déchiffrement. Mais cela n’a pas l’air de l’émouvoir plus que cela tandis qu’à ses côtés, toute l’Europe, elle, est en effervescence « exotique »…

 

Bien vite ses travaux se le réapproprient… Et c’est en ce lieu désormais mythique que comme le constate une fois de plus Hermine Hartleben , le déchiffreur appréhendera plus sûrement et la religion, et la particularité singulière de l’Égypte ancienne, c’est à dire la vie après la vie, la vie dans l’au-delà.

 

Avant qu’il ne quitte le palais turinois pour aller voir si l’Égypte est ailleurs qu’ici, je me dois de citer le Maitre… Ces mots qui vont suivre se suffisent à eux-mêmes…

 

« … Il m’eut «été encore plus agréable d’être à même d’éclaircir tous vos doutes et de décider avec certitude de toutes les difficultés, mais ma science hiéroglyphique n’en est point encore là, elle est assez avancée seulement pour entrevoir l’espace immense qui lui reste à franchir avant de marcher sans aucun obstacle dans le grand labyrinthe de l’Écriture sacrée. Je vois la route qu’il faut suivre, je sais les moyens qui restent à employer pour avancer à pas certains sur ce terrain si neuf et si riche, mais j’ignore si le zèle d’un seul homme et sa vie entière peuvent suffire pour une si vaste entreprise. Quoi qu’il puisse arriver, je continue mes recherches et je cours après les monuments originaux, les seuls guides que nous puissions suivre sans risquer d’être retardés, comme je l’ai été pendant dix ans par les inscriptions inexactes gravées dans le grand ouvrage de la Commission d’Égypte… »

     (Lettre écrite par J.F. Champollion à Wilhelm von Humbolt, le 12 février 1825)

 



Néanmoins, je trouve le déchiffreur un peu injuste avec les savants de la Commission d’Égypte. Je crois que ses déboires avec le Sieur Jomard l’aveuglent et que sa rage envers ce dernier déteint un peu trop sur les pauvres savants de Buonaparte, vétérans de cette magnifique Commission… Ses continuels griefs envers eux et leurs travaux sont regrettables.

 

Ils avaient eux, de la passion mais pas Le génie. S’ils ont quelques fois « maquillé » la belle Égypte, ce n’était point pour tricherie mais pour agrément, un peu de couleur par-ci, un remplissage dans un cartouche vide par-là, et puis après ?… Toi, Jean-François, tu préfères la belle au naturel, de plus, qui la connaît mieux que toi ? Personne… Tu es son fils! Tu es d’une autre dimension, d’un autre Monde, celui des Anciens Égyptiens, à Thèbes, à Memphis, à Héliopolis tu es partout chez toi ! Eux, ils ont risqué leur vie, certains même l’ont perdue, ils ont affronté les maladies, le soleil brûlant, la soif, les mirages, l’émerveillement, même si le voyage fut des plus beaux, cela inspire le respect qui leur est dû et que je leur voue depuis deux siècles dès leur retour. Mon affection pour ces gamins de vingt ans est sans limite. Ils ont entrepris un travail colossal, digne du Pays des Deux terres et cela restera certainement une expérience unique dans le genre ; tout un pays ausculté, dessiné, mesuré… la France, grâce à celle-ci n’a t-elle point produit d’illustres âmes, fait naître d’illustres projets ? Toi même, Jean-François, le déchiffreur ; Mariette Pacha le créateur du musée de Boulaq puis du Caire ; Maspero, le traducteur des textes des pyramides ; Desroches-Noblecourt, c’est la France qui sauve Abou-Simbel de la noyade ; Ferdinand de Lesseps et son canal de Suez, de la méditerranée à la mer rouge ; le sauvetage de la momie du plus grand Roi des Anciens, ton préféré, Sa Majesté Ramsès II en personne, accueilli tel un chef d’état à Paris !  Jean-François, aurais-tu pu être toi sans eux ?

 

Aussi, je sais pertinemment qu’il ne se trouve aucune once de méchanceté dans tes récriminations. Tu nous en fourniras une preuve à Béni-Hassan… Mais pour l’heure, tu n’es point encore parti par delà la mare nostrum, sur les tapis brûlants de tes ancêtres Thoutmôsis, Amenhophis, Ramsès… Là-bas, tu te souviendras de ces gamins-là…

 

Enfin tu nous présentes ton Roi…

 

 

« Cette statue vous enchanterait … Depuis six mois entiers je la vois et crois toujours la voir pour la première fois… Bref, j’en suis amoureux et j’arriverai à Paris avec un bon plâtre du buste entier de cette statue. Vous verrez alors si ma passion n’est pas légitime. La tête est divine – pieds et mains sont admirables, le corps est moelleux et les draperies d’une finesse achevée. Je l’appelle l’Apollon du belvédère égyptien.»   

(lettre à son ami Dubois)                                                    

 

Le Roi Ramsès II (1279-1213 avant J.C.), diorite, 19ème dynastie, temple d'Amon, Thèbes 

    



   (Statue dont était tombé « amoureux » Séghir à Turin)

 

 

 

Inscription apposée au dos de la statue de Ramsès II en mémoire à JFC :



HONORI ET MEMORIAE  / JOANNIS FRANCISCI CHAMPOLIONIS / QUI ARCANAE AEGYPTIORUM SCRIPTURAE / RECONDITAM DOCTRINAM PRIMUS APERTUIT / MONUMENTA AEGYPTIA REGIS VICTORICI EMMANUELIS LIBERALITATE CONQUISITA / IS IN AEDIBUS DOCTAE INVISITBSCRIPTIS ILUSTRARIT : MODERATORES REI LITTERARIAE / STATIM AC DE MORTE CELEBERRIMI VIRI NUNTIATUM EST / MENSE MARTIO ANNO MDCCCXXXII.

 

 

À la mémoire et en l’honneur de J.F. Champollion, qui le premier découvrit l’art caché de l’écriture secrète des Égyptiens : il examina en savant les documents laissés par les Égyptiens et rassemblés dans ce palais grâce à la libéralité du roi Victor-Emmanuel ; il illustra par ses écrits les maîtres de la littérature- jusqu’au jour où parvint la nouvelle de la mort de cet homme si célèbre, au mois de mars de 1832.

 

              VOYAGES, VOYAGES…

 

1er mars 1825, départ pour Rome… 11 mars, arrivée dans la ville éternelle.

 

Ses travaux turinois, ce voyage éreintant nous firent craindre pour la santé du déchiffreur…

 

Mais sa fureur de l’Égypte le tient debout… Ce n’est pas au pas de charge mais presque qu’il va d’un site à un autre, surtout si c’est égyptien…

 

Maintenant Naples pour trois semaines avec Biot et le Duc de Blacas son protecteur…

 

22 avril, retour à Rome… Au programme : études, visites, invitations. Exception faite de l’Angleterre, toute la diplomatie européenne veut rencontrer le « frenchie »…

  

Décidément, ici aussi, en Italie, la calomnie est une manie !

 

15 juin 1825. « Cadet » reçu en audience par le Souverain Pontife.

 

Le Pape au secours de « Séghir »… Il demande au Duc de Montmorency de transmettre aux Roi des français sa demande afin que soit octroyé au déchiffreur le titre de chevalier de la légion d’honneur.

  

La « secrétaire perpétuelle de Jean-François», Hermine Hartleben rappelle judicieusement que six académies dans le monde, et nombre d’autres en France accueillaient déjà le cadet des Champollion, cependant que l’aréopage des Inscriptions et Belles Lettres, réservait à plus  grand  que lui le passeport pour l’immortalité.

  

Éruption volcanique, colère à l’italienne dans la tête de Jean-François…

 

Le cossu Prince Gagarine, dans un élan de générosité, sachant les pauvres moyens financiers de notre héros, adressa à ce dernier par l’intermédiaire du Chevalier Bartholdy, (cela ne s’invente pas !), une somme d’argent conséquente, une aide généreuse en « somme. »

 

Réponse de « Cadet » :

« … Il faut que je sois ou bien mal compris, ou bien mal jugé pour qu’on ait pensé ainsi qu’on l’a fait, à me proposer un salaire comme s’il s’agissait d’une espèce de représentation. J’ignore si de tels arrangements sont dans les us et coutumes de l’Italie, mais les lettrés français, toujours empressés de propager le peu de science qu’ils peuvent posséder, ne songent jamais à la vendre. J’ai besoin de croire qu’il y a certainement quelque malentendu ou quelque distraction dans tout cela… »

 



Et oui … Qu’on se le tienne pour dit… le déchiffreur ne se vend pas, ne se loue pas, ne s’achète pas, ne se corrompt pas.

 

Par contre, il se vexe, se cabre, s’insurge...Il est entier, il est un et indivisible… Il est Lui par lui-même… Il n’appartient à personne et est à tout le monde…

 

Que cela soit écrit et accompli !

 

4 juillet, départ de Florence. Arrivée à Livourne d’une fameuse collection d’objets égyptiens appartenant à Henry Salt et dont notre Jean-François s’est fait un plaisir express d’en envoyer le catalogue à son mentor Blacas en vue d’un achat.

 

Deux nouvelles en août… Une mauvaise, une bonne… On commence par la mauvaise. Toujours aucune réponse du gouvernement concernant l’achat de la collection Salt… Pourtant il faut faire vite ! « Séghir » se désespère…

 

La bonne, est qu’il sera certainement nommé conservateur des antiquités égyptiennes au Louvre… « Séghir » s’éclaire !

 

Beaucoup de travail encore, puis enfin, retour à Grenoble dans la nuit du 10 novembre 1825.

 

En février 1826, le Roi octroya au déchiffreur les fonds nécessaires à l’étude de la collection Salt qui se trouve à Livourne.

1er mars 1826, fouette cocher ! Re-direction Chambéry… 3 mars, Turin… 15 mars, Livourne.

 

27 mars, Jean-François Champollion est présenté officiellement à l’Académie des Sciences de Livourne par Peyron et Ricci.

 

Jean-François, ce même jour, fit la connaissance du jeune Ippolito Rosellini, titulaire de la chaire d’égyptologie de Pise créée pour lui par le Roi Léopold II.

 

2 avril 1826, après que l’Académie eut rendu un brillant hommage au déchiffreur, la Signora Angelica Palli se leva, se tourna vers lui et déclama un hymne à sa gloire. Il n’en fallu pas plus pour que cette « muse » et de sa voix et de sa beauté enivra notre illustre français.

 

Il n’est point un génie par hasard… Voici comment il « sentit » cette affaire en deux phrases, deux phrases qui deviendront 30 lettres, 30 lettres qui lui briseront le cœur… Hathor a eu très peur…

 

 

« Quant à moi, je remercie le grand Amon-Râ de me l’avoir fait connaître et de m’avoir fait trouver grâce à ses yeux ; mais, me souvenant que les momies ont aussi leurs droits, quoique muettes, je reste au milieu d’elles le plus possible, et je ne vois l’aimable Sibylle que rarement, de peur qu’Athyr (Athor)ne se mêle un peu trop de ma reconnaissance… »

                                        J.F. Champollion

 

 

Je ne m’étendrai point sur ce « drôle de drame ».

 

Les « Lettres à Zelmire », correspondance entre Jean-François Champollion et la belle Angelica Palli est une véritable torture. La belle Zelmire se joue du déchiffreur Zéid… On le sent prêt à lui avouer qu’il l’aime, à chaque page, mais toujours la poétesse esquive, se moque, raille… Il n’attendra qu’un signe, qu’un mot, mais ni l’un ni l’autre ne viendront. Dieu que ce grand et beau cœur a dû saigner… C’est pitié de le lire, tentant à chaque phrase, à chaque mot, je dirais presque à chaque lettre (selon sa formule) de lui avouer cette passion nouvelle. Le désarroi de l’amoureux éconduit en est presque pathétique.

 

Pauvre Cadet, je suis persuadé qu’Athyr (Hathor) elle aussi a dû souffrir…

 

Pour ma part, c’était la première fois que je lisais ce genre « indiscret », de littérature et ce sera bien la dernière fois. Je me rappelle trop le sentiment « malsain » qui me suivait à chaque page…

 

Enfin… Le 17 mai 1826, après bien des tribulations, Figeac annonçait au Cadet que le Roi venait de signer l’ordonnance le nommant lui, Jean-François Champollion, conservateur de la division égyptienne et orientale du Musée du Louvre.

 

Extrait d’une lettre que le vicomte de La Rochefoucauld adressa au déchiffreur :

 

« … Il faut que je sois ou bien mal compris, ou bien mal jugé pour qu’on ait pensé ainsi qu’on l’a fait, à me proposer un salaire comme s’il s’agissait d’une espèce de représentation. J’ignore si de tels arrangements sont dans les us et coutumes de l’Italie, mais les lettrés français, toujours empressés de propager le peu de science qu’ils peuvent posséder, ne songent jamais à la vendre. J’ai besoin de croire qu’il y a certainement quelque malentendu ou quelque distraction dans tout cela… »

 

Nouveau retour…Bologne, Venise, arrivée Grenoble mi-octobre.

 

Au revoir Italie, nourrice de mon monde… Je m’en vais rejoindre ma petite Zoraïde…

« Si je n’avais pas l’honneur d’être son père, je vous dirais que sa réputation qui s’étend déjà dans deux ou trois communes est parfaitement méritée, que c’est le plus joli petit enfant du Dauphiné et que pour l’honneur du sexe féminin, elle ne me ressemble presque plus. »







 

 

« petite fleur de printemps » Zoraïde et sa maman, Rose Blanc

MISSION CHAMPOLLION

 



Par Patrick Kararsi

  

   

Statue de Bartholdi – Collège de France .   « Je veux consacrer ma vie à l’antique Egypte. » JF Champollion. Statue de Bartholdi – Collège de France . « Je veux consacrer ma vie à l’antique Egypte. » JF Champollion .
JFC par Mauzaisse 1830 (Copie, don de Mr Hervé Champollion) JFC par Mauzaisse 1830 (Copie, don de Mr Hervé Champollion)
JFC par Rougé JFC par Rougé
JFC par Étex JFC par Étex
JFC à l'IFAO au Caire JFC à l'IFAO au Caire
JFC JFC
JFC par Mme de Rumilly 1823 JFC par Mme de Rumilly 1823
JFC par Angelelli 1836 JFC par Angelelli 1836
Hermine Hartleben 1ère biographe de JFC 1906 (Don de Mr Martin Hartleben) Hermine Hartleben 1ère biographe de JFC 1906 (Don de Mr Martin Hartleben)
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