L’ÉGYPTE S’INSTALLE AU LOUVRE.
Mon héros rentre d’Italie… Son pauvre corps est las, mais dans son crâne, c’est le firmament empli d’étoiles ! Six mois d’apesanteur dans « son monde »…
Devoir quitter le musée de Turin, sa « sortie d’Égypte », s’annonce des plus compliquées pour deux raisons. La première, est un sentiment de culpabilité qu’il ressent à devoir abandonner ses chères statues égyptiennes. La deuxième, c’est l’appréhension des « bourrasques de Babel » qui l’attendent maintenant.
Octobre 1826, en route vers Paris.
L’infatigable déchiffreur somnole. Dans son rêve, il demande à son frère aîné de lui montrer La Voie…
Il sait que dès son arrivée à « Babel », vont pleuvoir immédiatement des hallebardes d’ennuis… Toujours les mêmes… Toujours des mêmes…
On lui proposait pourtant de si belles choses ailleurs…
Il se parle, se répond…
-Oui, mais mon Cœur est Français, que diable ! Pas question d’abandonner mon pays à qui je dois tout… Alors, JE RESTE !
19, rue Mazarine, à cent pas de la « mansarde historique » du 28, la tribu Champollion s’installe. Jacques-Joseph, Zoé, les enfants Ali, Jules, Aimé, Paul, Zoé, ainsi que Rosine et Zoraïde.
REVOIR PARIS…
Champollion, à l’Abbé Gazzera, Paris, 26 mai 1828.
Mon très cher ami,
Les tracasseries inséparables d’une organisation telle que celle de mon musée où tout était à faire, m’ont empêchées de donner à ma correspondance la suite et l’activité désirable (…)
Le déchiffreur-conservateur évoque également avec Jacques-Joseph le courrier qu’il lui avait adressé de Bologne pour envisager l’aménagement de son futurmusée et à propos des idées de décorations grecques et romaines du Comte de Forbin.
-Je ne puis consentir à ce ridicule arrangement. Il faut absolument pour obéir aux convenances et au bon sens, que mes salles soient décorées à l’égyptienne et les décorations égyptiennes qui valent certainement bien les décorations grecques coûteront beaucoup moins que les marbres qu’on achèterait pour faire dispendieusement une mauvaise chose. Cela n’empêche point que les plafonds soient peints par de bons peintres. Ils y mettront soit des sujets allégoriques ou des sujets égyptiens, mais les murs et tous les meubles, armoires et tables doivent être de style vrai égyptien. C’est le seul moyen de faire bien et de faire du neuf en même temps. Insiste je te prie au plus tôt sur ce point essentiel capital.
Lui, « l’égyptien », désirait simplement que les antiquités égyptiennes soient dans des salles… « égyptiennes »…
Voici un petit aperçu de l’ambiance qui règne dans ce microcosme, grâce à un courrier que mon héros adressa à son grand ami Rossellini :
-Ma vie est devenue un combat. Je suis obligé de tout arracher, personne parmi ceux qui devraient me seconder n’étant disposé à le faire. Mon arrivée au musée dérange tout le monde et tous mes collègues sont conjurés contre moi parce qu’au lieu de considérer ma place comme une sinécure, je prétends m’occuper de ma division ce qui fera nécessairement apercevoir qu’ils ne s’occupent nullement des leurs. Voilà le nœud de l’affaire. Il faut une bataille pour un clou.
Qui a jamais cru que Jean-François Champollion appelé à la barre, devrait se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes ? (N’est-ce pas mon Général ?)
Il faut rendre à César…
L’idée de la création d’un département « égyptien » au musée Charles X, émane d’Édmé Jomard.
Vétéran de la campagne d’Égypte de Buonaparte, directeur, chargé de la parution des presque 600 Kg que comptent la Description de l’Égypte, il n’aurait point été scandaleux que le poste de conservateur lui échoit, loin s’en faut.
Pourtant, nous ne pouvons que nous féliciter de la nomination de Jean-François Champollion aux commandes d’un tel « département ».
Pas de chance… Deux grands pour un « fauteuil »… Pour une fois, celui-ci, n’échappa point au premier des égyptologues. Il avait à faire valoir d’autres arguments que l’ancienneté et la direction d’un ouvrage, si gigantesque qu’il fut pour faire pencher la balance de Mâat de son côté:
Outre sa « Lettre à M. Dacier », combien même s’il n’avait encore « empreinté », lui, les chemins de la Mère Patrie, il venait de faire montre à Turin du large éventail de son génie. À la grande admiration de ses hôtes, il rédigea non seulement un catalogue raisonné de la fameuse collection Drovetti, mais qui plus est avait inventé la « muséographie » ; tri, classement, rangement, ordre, pédagogie, au service de La Civilisation Mère, afin que celle-ci, parée de quelques uns de ses plus beaux atours, non seulement interpelle les visiteurs, mais, nouveauté, en respectant sa logique historique, son « calendrier », bref en remontant le temps.
Et puis, la toute jeune science demandait un peu de patience pour faire connaissance…
L’Égypte pharaonique avait confiance en ce fils de France.
« Le Scribe d’Occident», génie faisant, voyait se rallier à lui, petit à petit, la grande majorité des sommités gravitant autour de son domaine réservé…
Figeac, bien-sûr, Dacier, Blacas, férussac, Fourier, Arago, Cuvier, Biot, Laplace, Chateaubriand, Sacy, Letronne, von Humboldt, Doudeauville, Gell, Salt, Wilkinson...
Jean Lacouture, Une vie de lumières
Le titre de sa charge me fait penser à un plat de grand restaurant… « Création de la deuxième division des statues et antiques ». Pourquoi pas tout simplement : « Département égyptien » ? Après tout il s’agit exclusivement d’Égypte ! Ceci vaudra bientôt comme nous le verrons pour sa nomination au Collège de France pour la chaire
d’ « Archéologie » ! Pourquoi pas « Égyptologie » ? Pourquoi faire simple, lorsque l’on peut faire compliqué ? (Première chaire d’égyptologie en Italie, 1825. Professeur : Ippolito Rossellini, élève du déchiffreur.)
À partir de ce jour, le musée cesse d’être une « délectation » pour devenir un « document d’histoire »
Jean Lacouture
Jean-François en est le penseur, le créateur, mais aussi le professeur. Sauf que pour ce dernier titre, il clarifiait sa situation on ne peut plus clairement et, s’il était besoin de chercher un exemple de « bon sens », alors, lisons la pensée du maitre retranscrite par Jean Lacouture :
« Mission accomplie : Champollion le jeune a conduit à bien la création du musée dont on l’a chargé dix- huit mois plus tôt.
Mais les leçons qu’il était simultanément censé prononcer « pendant la belle saison », où en sont- elles ? L’auteur de la Lettre à M. Dacier fait clairement comprendre à ses mandants qu’ils ne saurait enseigner l’égyptologie- en eût-il posé les fondements- sans avoir arpenté la terre des Pharaons : les sarcasmes de Jomard et de Forbin ont eu raison de sa patience. »
C’est cravaté de frais, et vêtu d’un frac neuf et noir, que le 15 décembre 1827, Jean-François Champollion, premier égyptologue, se joint à Son Altesse Royale Charles X pour inaugurer « son » musée égyptien au Louvre.
Musée qu’il a voulu créer comme une encyclopédie égyptienne.
Dans sa sublime biographie sur Jean-François Champollion, Jean Lacouture cite une anecdote singulière mais non pas « étonnante » concernant un « financement » pour son voyage en Égypte que lui aurait proposé un « sponsor », à condition que son nom surpasse ou surclasse les Dieux et les Arts de l’antique Égypte. Bien évidemment, la proposition du plus que « téméraire promoteur » fut repoussée, voire dédaignée par mon héros.
(Le général de Gaulle aurait pu se reconnaître maintes fois en ce loyal et génial déchiffreur.)
La future expédition française, même franco-toscane avec Ippolito Rossellini, se met en place ici au musée. Jean-François a réussi avec grande difficulté à imposer son ami Dubois comme son second, ici au Louvre. Nestor L’Hôte, douanier, auditeur du maitre et bon dessinateur, l’avait séduit lors d’un dîner en présentant son traité d’archéologie égyptienne, grecque et romaine.
Tout n’est pas réglé pourtant… La mise en place se fait au fur et à mesure des fins de travaux et des nouvelles acquisitions.
27, 28, 29 juillet 1830…
Les fameuses « trois glorieuse », immortalisées place de la Bastille par cette colonne à l’angelot, résonnent encore, deux siècles après dans le cœur du conservateur…
Et pour cause…
Les ordonnances que le Roi Charles X fait appliquer le 25 juillet 1830 :
- dissolution de la chambre des députés
- modification de la loi électorale
- nouvelles élections
- suspension de la liberté de la presse
Voici un beau cocktail explosif qui… explose ! On entend des coups de feu du côté de la rue Richelieu toute proche… Dans la nuit du 28 au 29 juillet, quelques émeutiers investissent le Louvre, saccagent tableaux et vitrines, pillent absolument tous les objets, exception faîte d’une bague que le conservateur, Jean-François Champollion, avait donné à son musée.
Quelques uns seront retrouvés mais pas tous… Loin s’en faut.
Devant le Louvre, l’on aperçu un flot de sang qui semblait rejoindre la Seine. Il s’abandonna sur cette eau, remonta jusqu’au Havre, se mêla aux mers, contourna la France, vogua nuit et jour sous le soleil et les étoiles, emprunta le large Delta pour à la fin se noyer dans le Nil…